Cahier d’Espérance n° 802 : «4ème Conférence de Carême : Justice et Paix»

« Il n’y a pas de paix sans justice ».

C’est de ce couple indissociable qu’il s’agira dans la Conférence du jeudi 3 mars « Justice et Paix ». Quand on envisage la paix,on pense surtout à la nécessité d’enrayer le mal de la guerre, dela violence, de la destruction des personnes, mais faire la paix implique bien plus que cela : la construction d’une société de bien qui repose sur des valeurs de justice, de tolérance, de fraternité, de respect des droits et de la dignité de chacun, d’égalité dans l’accès au bien. On peut donc affirmer qu’à la base d’une culture authentique de paix, il y a le respect, la promotion et la valorisation de la personne humaine. Pour nous chrétiens, cela veut dire faire du respect de la dignité humaine,
de la fraternité entre les hommes et de la recherche d’un bien commun une réalité, non seulement dans sa vie personnelle mais dans la relation entre les personnes et les groupes.

La sécurité humaine ne peut pas être assurée uniquement par l’intervention armée. L’effort pour lutter contre le terrorisme a souvent débouché sur la prolifération des armements et l’intensification de la militarisation du monde. La véritable sécurité humaine est fruit de relations équitables au sein de la communauté humaine, de la mise
au service des êtres et des ressources qui sont disponibles.

Pour affirmer cela, nous avons une source, l’Ecriture, sur laquelle nous devons toujours nous appuyer pour vérifier nos comportements. Notre référence est la justice de Dieu qui est au cœur de la révélation scripturaire. C’est une notion qui va très loin et très profond dans le sens de la reconnaissance de l’homme et de la place qui lui revient. A la base de cette justice, il y a l’idée que tout homme vaut un autre homme,que chacun a droit à avoir sa place dans le monde, a vocation à s’accomplir et que rien ne doit venir entraver cet accomplissement.
La frustration et le conflit l’emportent lorsque cette justice n’est pas mise en œuvre, lorsque l’homme est nié, avili, entravé, anéanti.

Ce projet de justice, nous sommes requis de le mettre en œuvre, si nous voulons construire une société parfaitement harmonieuse. Mais parce que nous ne sommes pas Dieu, nous référer à la justice de Dieu, c’est mettre en question toutes les formes de justice humaine

Il ne s’agit pas bien-entendu de s’opposer à toute mesure de sécurité, ni même à toute légitime défense, mais pour un chrétien, l’attitude la plus juste sera nécessairement celle qui met de la contestation au cœur de ces choix, et cela au nom même de la justice.

L’Eglise des trois premiers siècles avait pleinement assumé cette règle fondamentale. Son attitude était celle du refus de toute violence et non pas seulement de la violence
illégitime. On imposait aux soldats et aux magistrats devenus chrétiens de renoncer à leur charge, ou du moins de s’engager à ne pas tuer. La guerre ne peut pas être un projet de justice. Le seul chemin de justice, c’est celui qui fait droit au futur de l’homme dans le dialogue et la réconciliation. Tels sont les contours d’une authentique culture de paix.

+Marc STENGER 

Evêque de Troyes



CONFÉRENCES DE CARÊME  

«  Rendre une juste justice »

par François Leplat le 11 février 2016

 

François Leplat est magistrat depuis vingt-cinq ans. Il a exercé ses fonctions dans différentes juridictions, tant au siège, dans des formations de jugement, qu’au parquet
en charge de superviser les affaires pénales. Il est aujourd’hui conseiller à la cour d’appel de Versailles.

Selon le psaume 84, il ne saurait y avoir de paix sans justice. Celle des hommes vise à apaiser les conflits pour préserver le lien social, sans toujours y parvenir, et son rôle se complique avec la montée de l’individualisme et la contestation grandissante des règles du vivre ensemble.

Une juste justice n’est pas seulement l’œuvre des magistrats mais aussi celle des travailleurs sociaux, des experts, des avocats, des médiateurs et autres professionnels associés à l’œuvre de justice. Elle s’exerce dans un cadre fixé notamment par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui est celui de la séparation des pouvoirs entre le législatif,
l’exécutif et le judiciaire mais cette nécessaire séparation peut donner lieu à des tensions dans sa mise en œuvre. Ainsi, par exemple, les décisions rendues peuvent être soumises à la grâce présidentielle dont l’usage, il est vrai, est limité ou encore le Président de la République, chef de l’exécutif, est, étonnamment, garant de l’indépendance de la justice ! Pour assurer cette indépendance, l’article 64 de la Constitution précise que les magistrats du siège sont inamovibles. Le pendant de cette indépendance, qui profite au justiciable et non au juge lui même, réside dans l’impartialité et la responsabilité du magistrat. Le Conseil Supérieur de la Magistrature, composé de magistrats et de non magistrats, ces derniers étant majoritaires, assure la double fonction de gestionnaire du corps et de conseil de discipline.

La spécificité du statut du magistrat lui impose une obligation de réserve. Il n’a pas de droit de réponse mais peut se défendre devant la justice comme tout citoyen. Il doit résister tant aux pressions extérieures qu’à celles qui naissent de ses propres convictions, et la robe qu’il porte rappelle qu’il dit le droit au nom du peuple français et non pas de lui-même.
Il a le devoir de se déporter – demander à être dessaisi – si l’exercice de ses fonctions est en conflit avec son environnement proche.

On devient magistrat après cinq ans d’études post baccalauréat, un concours et trois ans dans une école spécialisée où les connaissances techniques sont complétées par des stages et des tests psychologiques.

François Leplat rappelle que le cadre d’une juste justice suppose de grands principes, tels la présomption d’innocence, un débat public et contradictoire. Le justiciable a droit
à un procès équitable devant un tribunal impartial, à l’assistance d’un avocat et à l’aide juridictionnelle si besoin ;  il dispose également du droit de faire appel devant d’autres juges.

Une juste justice nécessite aussi une sécurité juridique, que la multiplication des lois n’assure pas toujours, ainsi que des moyens matériels et humains hélas trop faibles. D’après une étude de 2012 du Conseil de l’Europe, la France se place au 37ème rang pour le budget consacré à la justice. Il y avait sous Napoléon 6 000 magistrats et ce nombre est resté stable jusqu’en 1990. Il y en a 8 000 aujourd’hui mais ce nombre reste insuffisant pour les presque 3 millions de jugements rendus chaque année !

La justice n’est pas qu’un corpus de textes  qui en fixe le cadre, c’est une affaire d’hommes et de femmes mis face à l’acte de juger. Le travail du juge est d’examiner les faits et de dire le droit. En matière civile, le juge a affaire à des parties qui produisent chacune les pièces justificatives de leurs demandes ; son rôle est relativement passif avant le jugement. En matière pénale, il s’agit pour le procureur de la République de réunir des charges pour permettre au juge de pouvoir déclarer coupable une personne. La preuve est toujours au centre du débat. On peut ainsi avoir raison sans parvenir à le prouver, c’est par exemple fréquent dans les cas de harcèlement.

Le juge est saisi sur une question, il doit y répondre complètement mais ne répondre qu’à la question posée. Il a le devoir de juger dans un délai raisonnable afin d’éviter un déni de justice ou parfois la remise en liberté de personnes placées en détention provisoire.

Une des conditions d’une juste justice repose aussi sur la collégialité qui permet aux juges, après avoir examiné le dossier, écouté les plaidoiries, pesé les preuves, de confronter leurs points de vue pour parvenir à une décision équilibrée et motivée. Cette motivation, sobre, doit permettre aux justiciables de comprendre dans un langage le plus accessible possible le raisonnement suivi par le juge ; elle constitue un rempart contre l’arbitraire et la partialité.

Le sentiment de justice et d’injustice reste néanmoins propre à chaque justiciable.

Le magistrat juge les faits qui lui sont soumis, il ne juge pas l’histoire entière d’une personne.

On entend beaucoup aujourd’hui que la décision juste aide à faire son deuil. La réponse judiciaire y est partie prenante mais n’est pas le seul élément. Interrogé sur l’erreur judiciaire, François Leplat précise que, souvent très médiatisée, elle reste rare. Juger n’est pas un acte anodin mais la justice reste humaine et parfois faillible.

Pour lui la décision juste est celle qui le laisse dormir, car le doute doit habiter le juge avant sa décision, jamais après.

Notes de Michèle Rain


N°802 Semaine du 02  au 09 mars 2016

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