Cahier d’Espérance n° 800 : «2ème Conférence de Carême: Justice dans la Bible»

    Chemin de la justice, chemin de bonheur

      « Malheureux celui qui construit son palais au mépris de la justice, et ses étages au mépris du droit ; fait travailler les autres pour rien, sans leur donner de salaire ; qui dit : “Je me construis une vaste maison, de spacieux étages” ; qui y perce des fenêtres, la revêt de cèdre et l’enduit de vermillon. Penses-tu assurer ton règne en voulant te distinguer par le cèdre ? Ton père n’a-t-il pas mangé, bu, défendu le droit et la justice, et il a connu le bonheur ! Il a pris en main la cause de l’humilié et du pauvre, et c’était le bonheur ! Me connaître, n’est-ce pas cela ? – Oracle du Seigneur. » (Jérémie 22,13-17)

Au milieu du 7e siècle av. J.C., le prophète Jérémie met en garde le monarque régnant. Le roi n’est pas fidèle à ce que Dieu attend de lui, à savoir prendre soin du peuple ; il bafoue les règles du droit sur lesquelles est bâtie la société, règles héritées de son père, règles qui expriment le désir divin de voir les Hébreux, autrefois libérés de l’esclavage, vivre en fraternité.

La justice est du ressort du roi mais aussi des juges, des propriétaires, des producteurs, des commerçants, des chefs de famille… Avec lucidité et par le jeu différencié des responsabilités humaines, elle vise non seulement l’équilibre social mais une plus grande harmonie, un plus grand bonheur partagé. Elle est un chemin et, sur ce chemin, Dieu accompagne ceux et celles qui sont les plus faibles.

Dieu de toute douceur, il lui arrive de proposer aux décideurs du peuple d’Israël des rêves utopiques, comme le repos pour les humains, les animaux et le sol nourricier, la libération des esclaves ou la redistribution régulière des terres (Lévitique 25)… N’est-ce pas le rôle de l’utopie de faire avancer ?

Au 1er siècle de notre ère, Jésus relance l’utopie divine. Il fait de la justice l’objet de plusieurs paraboles et de deux béatitudes, l’une adressée à qui en est assoiffé, l’autre à ceux et celles qui ne craignent pas de prendre des coups (Matthieu 5,6 et 10). Car il y a bien des résistances, intérieures et extérieures : attachement aux biens, certitude de ses mérites personnels, mépris des moins compétents, rivalités, convoitise. Aujourd’hui comme hier, alors que beaucoup de choses se calculent et se monnayent, la recherche de la  justice du Royaume de Dieu n’en finit pas de contester les défaitismes et le politiquement correct…

Père Gérard Billon


 CONFÉRENCE du 4 février 2016

Paul Valadier

Sagesse biblique, sagesse politique

Père Paul Valadier s.j.

Philosophe, professeur au Centre Sèvres, le Père Valadier nous invite à réfléchir sur la sagesse biblique et politique, thème de  son livre éponyme, ouvrant le débat sur le ressourcement de l’Eglise.

La réflexion politique sur la sagesse ancienne fait systématiquement référence à la Grèce et à Rome en oubliant Jérusalem. Or la démocratie grecque, comme la république romaine, était un régime instable fondé sur un rapport intime entre la religion et la Cité. Cette démocratie érigée en exemple était limitative et discriminatoire : peu de citoyens, beaucoup d’esclaves. Dans la Bible, la sagesse est toute autre, c’est la capacité de discerner, de trouver son chemin dans la tourmente, d’aller vers plus de justice et de bienveillance. La sagesse nous aide à élucider la façon dont nous répondons à ce que Dieu attend de nous. Le mot sagesse est  peu utilisé, il a souvent une connotation « molle », or il n’est pas spécifiquement chrétien.
Le Père Valadier nous met en garde contre un excès d’intellectualisme car la sagesse comporte aussi une part de sensibilité.

La foi chrétienne nous ouvre à l’universel. Nous sommes tous enfants de Dieu, au même titre, sur le même rang. Chaque être humain, pauvre, malade ou handicapé doit être considéré comme fils de Dieu. Voilà la première différence avec la sagesse grecque. Tout homme doit participer à la vie commune. Cela induit une certaine conception du péché. Pour les chrétiens les hommes sont frères et solidaires, en Adam dans le Mal (par exemple le pillage des matières premières ou la destruction de la planète) et en Christ dans le Bien. Cela nous délivre aussi d’une certaine conception totalitaire du progrès qui peut tout, conception héritée du siècle des Lumières. Enfin la sagesse biblique nous parle de l’autorité. Paul écrit en Romain 13 que toute autorité vient de Dieu. Faut-il donc plier le genou devant l’arbitraire ? Il nous rappelle que l’autorité ne vient pas de nous mais de plus haut et les parents le savent bien. Chacun a des pouvoirs et doit les exercer mais Dieu est Celui qui nous fait croître. A son image, notre autorité doit s’exercer pour aider l’autre à grandir et non pour l’étouffer. L’autorité « réussie » est celle qui disparaît. Voilà qui est libérateur. L’obéissance de l’esclave dont il est question dans l’épître de Pierre, nous dérange mais nous sommes invités à faire œuvre de discernement en nous rappelant que Pierre écrivait à une époque donnée pour des gens de son temps.

Le christianisme apporte une idée nouvelle, celle des deux royaumes. Le Christ annonce la venue proche du Royaume, distinct du royaume des hommes. Distinct mais non pas séparé. Certes nous ne pouvons pas entrer dans le Royaume avec les moyens des hommes, l’argent, le pouvoir… mais avec le pardon et la charité. Le Christ ne méprise pas le royaume des hommes, il affirme la spécificité des deux royaumes. Mais comme l’âme qui ne va pas sans le corps et le corps qui a besoin de l’âme, il peut arriver que le Royaume annoncé par le Christ ait besoin des moyens humains ! Les missionnaires qui partaient évangéliser l’Amérique n’avaient pas de bateaux, ils devaient voyager sur les navires de guerre. Et aujourd’hui, l’Eglise de France bénéficie pour ses bâtiments des subsides de l’Etat. Le politique s’empare souvent de cette distinction entre le politique et le religieux en la dévoyant de sorte que la laïcité qui dépend de l’histoire est mal comprise. C’est une laïcité d’ignorance alors qu’il est évident que la République ne peut ignorer les religions.

Le politique et le religieux doivent se mouvoir dans une coexistence féconde d’autant plus nécessaire que la sagesse politique a besoin d’une inspiration d’ordre spirituel. La foi chrétienne essaie de parler à tous les hommes comme le fait le Pape François avec l’encyclique Laudato Si. Les enjeux qu’il souligne nous concernent tous, il parle à la raison, au nom de la foi. La sagesse chrétienne ne nous donne pas de solutions clés en main ; elle doit éclairer notre discernement qui s’exerce dans la liberté. Elle n’exclut nullement l’audace et le risque.
L’Evangile est un risque immense et les sages ont besoin de prophètes !

Le rôle de proposition de l’Eglise est gommé ou caricaturé par les medias mais elle fait entendre sa voix lorsqu’il y a de véritables enjeux. Le christianisme est une religion de l’Esprit et non de la lettre et nous ne sommes pas sans ressource pour tirer du nouveau à partir de l’ancien. Alors que le rapport à l’argent, à l’autorité et à bien d’autres notions a changé,
il faut trouver un nouveau style…

Notes de Michèle Rain


     « Les Mexicains ont Dieu dans la tête et le cœur »

Les Sœurs de l’Instruction chrétienne de Saint-Gildas-les-Bois suivront avec attention le voyage du pape François au Mexique du 12 au 18 février 2016. (extraits de la CEF le 12 – 2) 

Revenues en Loire-Atlantique depuis un an, trois Sœurs – Sœur Jeannette, sœur Jacqueline et sœur Nicole – qui ont vécu de longues années au Mexique, seront très attentives à la prochaine visite du pape François au Mexique du12 au 18 février.

Voici leur témoignage :

  « J’ai été admirative de la foi de ce peuple ainsi que de l’intelligence des femmes souvent piliers dans la communauté du village et dans la transmission de la foi» témoigne Sœur Jacqueline. Elle est aujourd’hui en communauté en Seine-Saint-Denis, après avoir servi douze ans l’Église mexicaine dont six ans à Iztapalapa, une banlieue de Mexico, auprès de malades alcooliques et de travailleurs aux droits souvent bafoués. Elle en garde deux souvenirs marquants : les résultats angoissants d’une enquête révélant que des ouvriers avaient vu que leurs gains couvraient à peine l’achat des produits de base pour se nourrir et le drame de l’effondrement d’une mine.

Sœur Nicole reste très marquée, pour sa part, par les communautés de base, supports de la vie diocésaine à laquelle elle a participé dans l’isthme de Tehuantepec. Le partage de la Parole de Dieu était moteur pour la vie des quartiers, suscitant une solidarité qui allait parfois jusqu’à une organisation. C’est dans ce contexte qu’une pastorale pénitentiaire a pris forme. Sœur Nicole raconte que l’évêque, Mgr Arturo Lona Reyes, avait fait inscrire sur les murs de la prison  «  J’ai perdu ma liberté, pas ma dignité ». Les prisonniers se sont alors transformés en acteurs de leur vie en devenant relais de santé, responsables juridiques, créant une bibliothèque, etc.

Toutes les trois évoquent le flux migratoire vers les États-Unis. « À l’intérieur du pays, dans certains villages – témoignent-elles – il ne reste plus que des grands-mères et des enfants avec des jeunes qui lâchent leurs études pour partir aux États-Unis» mais il y a aussi cette traversée des migrants d’Amérique centrale dans des conditions extrêmement périlleuses.

 Les trois religieuses françaises espèrent beaucoup des déclarations du Pape François sur ce problème, de même que sur la violence qui continue de gangrener le pays.


800 Semaine du 17 au 24 février 2016

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