CAHIER D’ESPÉRANCE N°878: 1ère Conférences de Carême 2018 : «La spiritualité, une dimension constitutive de l’être humain ? »

Le moment actuel dit de post-modernité est celui où la victoire du principe critique moderne est totale, c’est-à-dire lorsque plus rien ne fait autorité. Dans ce contexte, comment ne pas renoncer à désigner la spécificité de l’humain, alors que les différences qui faisaient jusqu’ici autorité (humain/animal,humain/machine, homme/femme, etc…) ne s’imposent plus. La proposition soutenue ici est que c’est dans la «spiritualité» et tout particulièrement dans la « spiritualité chrétienne » que quelque chose de spécifiquement humain peut se discerner.
Et cela, non seulement comme une dimension caractéristique de l’humain parmi d’autres dimensions, mais comme peut-être «la» dimension caractéristique de l’humain.

Pour préciser le propos, il sera nécessaire de commencer par clarifier le terme de spiritualité, en articulant homme religieux et chrétien, et ceux d’esprit et d’âme, en en montrant la richesse biblique, ainsi que les variations de sens au fil de l’histoire de la pensée et de la mystique, pour aboutir au constat de leur polysémie. C’est en suivant quelques pistes ouvertes par la Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, Gaudium et Spes, du concile Vatican II, que l’on dégagera le spécifique humain révélé à partir du fait de Jésus-Christ, notamment à partir de cette affirmation : «Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous (cf. Rm 8, 32) et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (GS 22.5).

Finalement, l’exploration des désirs les plus profonds du cœur humain conduit à reconnaître leur ancrage dans le Christ mort et ressuscité et leur manifestation concrète dans un art de vivre selon une dynamique de don et de pardon. 

                Brigitte Cholvy, Institut Catholique de Paris


QUAND LES ROBOTS GERENT VOTRE ARGENT 

LA ROBOTISATION DE LA FINANCE, QUELS ENJEUX ?

Par Pierre JANUARD 

Conférence  du 19 décembre à Notre-Dame de Pentecôte

Préambule  

Le Père Pierre Januard, Dominicain, a d’abord travaillé dans une société de gestion de portefeuilles, avant de se tourner vers l’investissement solidaire et responsable et de devenir Trésorier National du CCFD. S’étant éloigné pendant 15 ans du secteur de la banque, il a pu constater à son retour de très nombreuses évolutions et notamment une véritable robotisation du secteur.

Son propos n’est pas de porter un jugement de valeur sur ces transformations, mais d’adopter, comme Saint Thomas, une approche bienveillante du monde, en commençant par comprendre les mécanismes en œuvre.

Avant de parler des marchés financiers et de monnaie virtuelle, il convient de considérer ce que sont devenues les banques de détail, ainsi que les enjeux de ces évolutions pour la clientèle et les banques elles-mêmes.

LA BANQUE DE DETAIL  

Internet y est désormais omniprésent, pour le meilleur et pour le pire… La banque en ligne est bien-sûr une solution commerciale adaptée ; ses aspects pratiques, rapides et intuitifs correspondent bien aux modes de vie actuels. La sécurisation est au point. C’est parfait…quand cela fonctionne, car en plus des problèmes techniques qui peuvent survenir, demeurent des blocages règlementaires (par exemple, dans certaines banques,les difficultés pour obtenir un RIB en ligne ou effectuer un virement…). Soulignons aussi la dépersonnalisation des relations, puisqu’à la place du conseiller clairement identifié, une plate-forme téléphonique répond à vos questions. Mais au-delà de ces limites, reste le problème humain, car la robotisation des banques de détail laisse une minorité silencieuse au bord du chemin (déficients intellectuels, personnes âgées…)

Jusqu’à présent la banque ou plutôt le banquier jouait un rôle humain et social. Le nouveau système paraît plus efficace, mais en cas d’erreur, il est difficile de déterminer le responsable, en sachant qu’un ordinateur ne se trompe jamais…De plus le banquier assurait un rôle de conseil et même d’accompagnement dans certaines démarches comme la déclaration fiscale… En zone rurale, l’agence bancaire est un lieu de paroles, de rencontres, non seulement un lieu de socialisation pour les personnes isolées mais aussi un lieu de développement économique local.

La robotisation bouleverse le secteur bancaire lui-même. Des agences ferment, les effectifs globaux baissent, les métiers de la banque changent, or tous les salariés du réseau ne sont pas nécessairement adaptables aux nouvelles pratiques informatisées. On voit surgir des risques psycho-sociaux ; la responsabilité sociale de l’entreprise se trouve engagée.

La question du bon profil du banquier numérique se pose à la fois aux recruteurs et aux professionnels de la formation permanente et de la formation initiale.

LA FINANCE DE MARCHE 

Les salariés du secteur financier ne savent plus s’ils travaillent dans une banque ou dans une société informatique…Par exemple, Goldman Sachs a opéré un grand remplacement. A la place des 600 traders, on trouve aujourd’hui 200 informaticiens et 2 traders. Le groupe a ainsi divisé ses coûts par 5.  Les Echos, en date de février 2017, annonçaient que les 12 plus grandes banques de Wall Street avaient supprimé 3 000 emplois en 4 ans.

Dans ce nouveau contexte, évitera-t-on un nouveau scandale «de type Kerviel». On a certes des procédures de contrôle, mais rien ne dit que de nouvelles formes de dérives informatiques ne pourront pas apparaître…

Autre risque à signaler : la domination définitive du quantitatif sur le qualitatif. Certes l’analyse financière et extra-financière étaient déjà largement chiffrées et cela permet des comparaisons objectives. En France, les sociétés de gestion financière continuent à intégrer, dans la réflexion et la prise de décisions, des notions qualitatives et ce serait dommage de perdre cela. Notons en effet que le métier de gérant n’est pas totalement soluble dans l’informatique, que le client veut parler à quelqu’un…

Ces évolutions vont de pair avec la disparition de ce que l’on peut appeler «une externalité positive» dans la mesure où les professionnels qui passent ou passaient les ordres et les brokers  qui les exécutent font un travail irremplaçable d’analyse économique. 

LA MONNAIE VIRTUELLE

On peut dire que la monnaie scripturale, qui représente déjà 90% de la monnaie, est virtuelle. Pièces et billets tendent à disparaître. C’est d’ailleurs une volonté politique car la monnaie scripturale permet de mieux lutter contre le blanchiment d’argent.

Toutefois avec la naissance du bitcoin en 2009, on a vu apparaître un nouveau type de monnaie virtuelle généré en quelque sorte par des ordinateurs… On parle aussi de crypto monnaie. Jusqu’à présent, étant donnée la volatilité du marché, les banques ont opté pour la prudence.

Cette crypto monnaie présente d’indéniables avantages dans les zones de fragilité monétaire (Russie, Venezuela…) Il existe d’ailleurs une multitude d’autres monnaies de ce type, qui loin de rechercher la transparence du bitcoin, sont fondées sur le secret et l’anonymat. Elles permettent de financer des activités réprouvées par la morale et la loi…

Dans les risques, on peut citer aussi le piratage et le vol, ainsi qu’un risque écologique puisque les transactions et leur sécurisation consomment beaucoup d’électricité et quand il s’agit d’électricité bon marché, cette dernière est dépendante du charbon…

L’apparition de ces nouvelles monnaies représente une profonde mutation. Parmi les trois fonctions traditionnelles de la monnaie, elles se présentent bien comme réserves de valeur, mais jouent peu le rôle d’étalon de mesure de la valeur, ni d’intermédiaire d’échanges car elles sont encore peu répandues. On peut aussi se demander ce qu’est une monnaie sans Etat et sans banque centrale…Si dans l’avenir ces monnaies devaient avoir un impact réel sur les marché, quels pourraient être les recours, les arbitrages, les régulations ?

Pour conclure, la robotisation entendue en un sens général, pose la question de la responsabilité, la question des institutions de régulation et de leurs compétences techniques, sans oublier le problème de la formation des professionnels, des particuliers, des entreprises, des ONG….

Compte-rendu réalisé par Anne Plauchu



N°878 Semaine du  14 au 21 février  2018

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