CAHIER D’ESPÉRANCE N°918 «VISAGES DE LA MISERICORDE»

Le 30 avril 2000, pour la canonisation de Sœur Faustine, Saint Jean-Paul II décida que le deuxième dimanche de Pâques serait désormais celui de la « Divine Miséricorde » ; il précisa dans son homélie : « Le Christ nous a indiqué les multiples voies de la miséricorde, qui ne pardonne pas seulement les péchés, mais répond également à toutes les nécessités de l’homme. Jésus s’incline sur toute forme de pauvreté humaine, matérielle et spirituelle. » Vingt ans plus tôt, il avait publié une encyclique intitulée « Dives in misericordia – Dieu est riche en miséricorde ».

Lorsqu’il décréta, justement le dimanche de la Divine Miséricorde 2015, l’« Année de la Miséricorde » pour en faire un « Jubilé extraordinaire », le Pape François se référa au texte de son prédécesseur « qui arriva à l’époque de façon inattendue et provoqua beaucoup de surprise en raison du thème abordé » et il écrivit dans la « Bulle d’indiction » : « Son enseignement demeure plus que jamais d’actualité et mérite d’être repris en cette Année Sainte » (Misericordiæ vultus n° 11).

Il est certain que la Miséricorde est au centre de l’engagement du Saint Père qui prit pour devise épiscopale « miserando atque eligendo » (Jésus regarda le jeune homme riche avec miséricorde et le choisit, Mt 9, 9-13). Aussi affirme-t-il : « L’Église a pour mission d’annoncer la
miséricorde de Dieu, cœur battant de l’Évangile, qu’elle doit faire parvenir au cœur et à l’esprit de tous. 
»
(MV n° 12).

Le temps du Carême est certainement un moment privilégié de l’année liturgique que le Pape présente comme « comme un temps fort pour
célébrer et expérimenter la miséricorde de Dieu. Combien de pages de l’Ecriture peuvent être méditées pendant les semaines du Carême, pour redécouvrir le visage miséricordieux du Père ! 
»
(MV n° 17). Ce visage se révèle de manière privilégiée dans la figure du père de la parabole du fils prodigue (Lc 15, 11-32) – qui figurait sur le logo de l’Année de la Miséricorde – et dans celui de la femme adultère (Jn 8, 1-11).

C’est une manière de mettre en pratique ce qu’il demanda dans la Lettre apostolique Misericordia et Misera de la fin du Jubilé (20 novembre 2016) : « La miséricorde ne peut être une parenthèse dans la vie de l’Église, mais elle en constitue l’existence même, qui rend manifeste et tangible la vérité profonde de l’Évangile » (MM n° 1).

N’oubliant pas que la préparation à la célébration du mystère pascal privilégie le sacrement de pénitence et de réconciliation, la confession, nous entendrons cet appel : « Que les pasteurs, spécialement pendant le temps fort du Carême, soient invités à appeler les fidèles à s’approcher vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir la grâce de son secours » (MV n° 18).

Mgr Yvon Aybram

Missionnaire de la Miséricorde


PENSER LA FOI CHRETIENNE APRES RENE GIRARD          

Conférence de Bernard Perret

A Notre-Dame de Pentecôte le jeudi 17 janvier 2019 

Bernard Perret est essayiste et vice-président de l’Association Recherches Mimétiques (www.rene-girard.fr). Il a mené une double carrière de haut-fonctionnaire et de chercheur en sciences humaines. Ses travaux touchent des sujets variés: questions économiques et sociales, écologie, anthropologie sociale, christianisme. Il est l’auteur de Penser la foi chrétienne après René Girard (Editions Ad Solem, 2018)

(Suite et fin )

LECTURE GIRARDIENNE DES ECRITURES JUDEO-CHRETIENNES

Pour René Girard, la Bible ne se présente pas comme une exception. Dans l’Ancien Testament, on trouve en effet de nombreux textes mythiques avec un Dieu vengeur, violent, exigeant des sacrifices pour s’apaiser.

Mais dans la Bible, la violence est dénoncée. On constate que les hommes sont violents mais ce n’est pas ce que Dieu a voulu. Par exemple, juste après la chute fondée sur le désir mimétique, Caïn tue Abel, montrant que les meurtres sont une donnée de fond de la vie humaine, que meurtre et jalousie vont de pair. Dieu condamne le meurtre. Mais Caïn, le réprouvé devient fondateur des cités.

La Cité humaine est radicalement désacralisée. Malgré les apparences, le récit de Caïn et Abel s’oppose à celui de la Fondation de Rome par Romulus et Rémus puisque, dans ce cas, les dieux bénissent le juste meurtrier.

La Bible, quant à elle, est traversée par la réflexion éthique sur la violence. Le Décalogue est évitement de la violence mimétique : « Tu ne convoiteras rien de ce qui appartient au prochain ».

Quant au christianisme, il est à la fois proche et différent des religions archaïques. L’histoire semble celle d’un meurtre qui sauve. On a bien les ingrédients du schème sacrificiel : foule en colère, victime émissaire…Le christianisme est-il une régression ?

Notons ici que le point de vue est celui de l’Agneau, qui rapporte le récit.

Dans les Evangiles, le mécanisme victimaire est entièrement dévoilé, visible. Ce qui est ici révélé perd de son efficacité. La force de cette grille de lecture est qu’elle rend parfaitement compte de la cohérence des Evangiles et montre que Jésus avait une profonde compréhension des forces qui allaient le conduire à la mort. La morale de Jésus est l’antidote à la violence mimétique, sa logique est radicalement autre, elle est antimimétique. Jésus demande de dépasser une stricte réciprocité et insiste sur la gratuité et le pardon. Il préconise de pardonner 77 fois, ce qui fait écho à la Genèse où la spirale mimétique conduit à 77 meurtres…

Dieu a un amour préférentiel pour la victime et ceux qui prennent sa défense (cf les Béatitudes ou le jugement dernier). Il y a dans le Nouveau Testament une véritable inversion de la logique victimaire, si l’on pense à la brebis égarée ou au fils prodigue. On passe du « tous contre un » au « tout pour un ».

Après la mort de Jésus, Hérode et Pilate se réconcilient. Quand le grand prêtre dit « il est de votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple », on voit qu’il exprime la logique du processus victimaire. Quant à Pierre, quand il trahit, il est pris dans la contamination mimétique.

La Bible tout entière doit donc être lue comme une dénonciation qui se fait sans cesse plus précise de la violence située dans l’homme lui-même. Se révèle un Dieu exempt de violence. Jésus qui se soumet entièrement à la volonté de son Père est le médiateur d’un désir exempt de rivalité.

Le livre de Job prenait déjà ses distances avec cette notion d’un Dieu vengeur.

René Girard redonne une nouvelle jeunesse à l’idée selon laquelle le Nouveau Testament éclaire l’Ancien.

Réponse du conférencier à une question posée

RENE GIRARD ET LA THEOLOGIE ACTUELLE

La pensée de René Girard fait l’objet de débats entre théologiens, peu de français le citent (Bernard Sesbouë est une exception), en revanche, il faut savoir que des théologiens anglophones et germanophones s’en inspirent. James Alison relit ainsi la Résurrection et le Salut.

De nombreux sociologues non chrétiens s’emparent aussi de la pensée de René Girard pour penser les phénomènes de violence collective, de foules et du caractère mimétique de la cristallisation de la violence.

Notes d’Anne Plauchu

 

 

 


N°918Semaine du  27Février au 6 Mars 2019

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