Conférence de Francis Lapierre : “Saint Luc, l’évangéliste aux deux visages”

Conférence de Francis Lapierre : “Saint Luc, l’évangéliste aux deux visages”

time 12 h 45 min

2 juin 2016

L’Évangile de Luc contient-il deux livres distincts ?

Cette année, nous vivons sous le signe de la Miséricorde (thème voulu par le Pape François) et accompagnés par l’Évangile de Luc. De nombreuses publications ont d’ailleurs fait le lien, car saint Luc a la réputation d’être gentil parce qu’il nous raconte l’enfance de Jésus à travers le oui de la Vierge Marie et qu’il ménage dans son récit, des temps de pause pendant lesquels Jésus se ressource par la prière…

Dans sa construction, l’Évangile de Luc résulte de la combinaison de deux documents antérieurs :

– Un Évangile de Marc dont  Luc adoucit le vocabulaire juif et élude les allusions à l’Ancien Testament que sa communauté de païens ignore. (ch.3-9), complété du récit de la Passion  (ch.19-23).

– Un document qu’il partage avec Matthieu (ch.10-18), désigné sous le nom de Deuxième Source, parce que Marc ne semble pas le connaitre, comme si Marc avait rédigé son Évangile antérieurement.

Cette Deuxième Source est essentiellement composée de discours de Jésus, ces discours se terminant par des mises en garde adressées aux communautés. La comparaison des conclusions respectives selon Matthieu puis selon Luc nous permet de découvrir un phénomène imprévu : Luc est beaucoup plus sévère et imprécatoire que Matthieu contre ceux qui refusent de se convertir !

À tel point qu’après les Jours de Noé – où tous les méchants ont été noyés –  (Matthieu), Luc rajoute les Jours de Lot où le feu et le soufre du ciel viennent tout détruire…reste-il encore quelque chose ?

Il était temps que Luc arrête la polémique…mais celle-ci s’explique si sa rédaction se situe dans les années qui suivent les morts violentes de Pierre et de Paul (63-65).

Dans ce contexte, les malédictions spécifiques à Luc, qui complètent ses béatitudes (6,20-26) sont à relire :

Longtemps, nous avons pensé que ces malédictions témoignaient d’une source primitive et que Matthieu, de son côté, les avaient ignorées ou supprimées.

L’utilisation dramatique que fait Luc de la Deuxième Source, nous oblige à nous demander si ces malédictions ne seraient pas tardives et polémiques, une forme de réponse aux morts violentes de Pierre et de Paul : À une communauté apeurée et en proie aux persécutions, qui a faim, qui pleure et qui est l’objet de railleries, Luc oppose  le présent difficile, au futur radieux dans le Royaume. Puis, il supprime du texte de Matthieu (ou de la Deuxième Source) tous les termes de douceur qui pourraient être compris comme de la faiblesse : plus de doux, de miséricordieux, de cœurs purs, et d’artisans de paix.

Vous êtes haïs, rejetés (un rajout de Luc) et insultés et diffamés maintenant à cause du Fils de l’homme, mais  bondissez de joie car votre récompense sera grande dans les cieux

                                   Francis LAPIERRE

Saint Luc écrivant© BnF. MS éthiopien d’Abbadie 82, fol. 35v.