CAHIER D’ESPÉRANCE N°884: «Eveille-toi,ô toi qui dors…»

Que se passe-t-il ? Aujourd’hui, grand silence sur la terre; grand silence et ensuite solitude parce que le Roi sommeille. La terre a tremblé et elle s’est apaisée, parce que Dieu s’est endormi dans la chair et il a éveillé ceux qui dorment depuis les origines. Dieu est mort dans la chair et le séjour des morts s’est mis à trembler.

C’est le premier homme qu’il va chercher, comme la brebis perdue. Il veut aussi visiter ceux qui demeurent dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort. Oui, c’est vers Adam captif, en même temps que vers Ève, captive elle aussi, que Dieu se dirige, et son Fils avec lui, pour les délivrer de leurs douleurs.

Le Seigneur s’est avancé vers eux, muni de la croix, l’arme de sa victoire. Lorsqu’il le vit, Adam, le premier homme, se frappant la poitrine dans sa stupeur, s’écria vers tous les autres : « Mon Seigneur avec nous tous ! » Et le Christ répondit à Adam: « Et avec ton esprit ». Il le prend par la main et le relève en disant :

«Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera». C’est moi, ton Dieu, qui, pour toi, suis devenu ton fils; c’est moi qui, pour toi et pour tes descendants, te parle maintenant et qui, par ma puissance, ordonne à ceux qui sont dans les chaînes : « Sortez. » À ceux qui sont dans les ténèbres : « Soyez illuminés. » À ceux qui sont endormis : « Relevez-vous. »
Je te l’ordonne: « Éveille-toi, ô toi qui dors, je ne t’ai pas créé pour que tu demeures captif du séjour des morts. Relève-toi d’entre les morts : moi, je suis la vie des morts. Lève-toi, œuvre de mes mains ; lève-toi, mon semblable qui as été créé à mon image. Éveille-toi, sortons d’ici. Car tu es en moi, et moi en toi, nous sommes une seule personne indivisible.  »

« C’est pour toi que moi, ton Dieu, je suis devenu ton fils ; c’est pour toi que moi, le Maître, j’ai pris ta forme d’esclave ; c’est pour toi que moi, qui domine les cieux, je suis venu sur la terre et au-dessous de la terre ; c’est pour toi, l’homme, que je suis devenu comme un homme abandonné, libre entre les morts ; c’est pour toi, qui es sorti du jardin, que j’ai été livré aux Juifs dans un jardin et que j’ai été crucifié dans un jardin. Vois les crachats sur mon visage ; c’est pour toi que je les ai subis afin de te ramener à ton premier souffle de vie. Vois les soufflets sur mes joues : je les ai subis pour rétablir ta forme défigurée afin de la restaurer à mon image. »

«Vois la flagellation sur mon dos, que j’ai subie pour éloigner le fardeau de tes péchés qui pesait sur ton dos. Vois mes mains solidement clouées au bois, à cause de toi qui as péché en tendant la main vers le bois. Je me suis endormi sur la croix, et la lance a pénétré dans mon côté, à cause de toi qui t’es endormi dans le paradis et, de ton côté, tu as donné naissance à Ève. Mon côté a guéri la douleur de ton côté ; mon sommeil va te tirer du sommeil des enfers. Ma lance a arrêté la lance qui se tournait vers toi. »

«Lève-toi, partons d’ici. L’ennemi t’a fait sortir de la terre du paradis ; moi je ne t’installerai plus dans le paradis, mais sur un trône céleste. Je t’ai écarté de l’arbre symbolique de la vie ; mais voici que moi, qui suis la vie, je ne fais qu’un avec toi. J’ai posté les chérubins pour qu’ils te gardent comme un serviteur ; je fais maintenant que les chérubins t’adorent comme un Dieu. »
«Le trône des chérubins est préparé, les porteurs sont alertés, le lit nuptial est dressé, les aliments sont apprêtés, les tentes et les demeures éternelles le sont aussi. Les trésors du bonheur sont ouverts et le Royaume des cieux est prêt de toute éternité. »

HOMÉLIE ANCIENNE POUR LE GRAND ET SAINT SAMEDI

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Déclaration des 118 Evêques de France — 22 mars 2018
« Fin de vie: Oui à l’urgence de la fraternité! »

Quelles que soient nos convictions, la fin de vie est un temps que nous vivrons tous et une inquiétude que nous partageons. Chacun doit donc pouvoir y réfléchir le plus sereinement possible, en évitant les écueils des passions et des pressions. Nous voulons avant tout exprimer notre pleine compassion envers nos frères et sœurs en « fin de vie », comme l’Église a toujours essayé de le faire. Ils se présentent dans leur faiblesse, parfois extrême. Leur existence est un appel: de quelle humanité, de quelle attention, de quelle sollicitude ferons-nous preuve envers eux qui vivent au milieu de nous?

Nous saluons les professionnels de santé qui leur procurent une qualité de vie la plus apaisée possible, grâce à leur compétence technique et à leur humanité, aussi bien dans le suivi quotidien que dans les situations d’urgence. Certains d’entre eux sont engagés, souvent avec de fortes convictions personnelles, en soins palliatifs. Grâce à eux et à l’effort de déploiement de ces soins, nombre de nos concitoyens vivent de manière apaisée leur fin de vie. Cependant, ces soins ne sont pas assez développés et les possibilités de soulagement de la souffrance sous toutes ses formes ne sont pas assez connues. Il est urgent de combattre cette ignorance, source de peurs qui ne sont jamais bonnes conseillères et dont s’abreuvent les sondages.

Ancrés dans l’ensemble du territoire, nous déplorons les disparités d’accès aux soins palliatifs, ainsi que l’insuffisance des soins proposés au personnel médical et soignant, ce qui engendre des souffrances parfois tragiques. C’est pourquoi l’urgence consiste à poursuivre le développement des soins palliatifs pour que toute personne en ayant besoin puisse, selon la loi du 9 juin 1999, y avoir accès quel que soit son lieu de vie, y compris dans les EHPAD et dans les maisons de retraite.

En raison de ces carences et de la médiatisation de certains cas, plusieurs réclament un changement de la loi par la légalisation d’une assistance médicale au suicide et de l’euthanasie. Face à cette réclamation, nous affirmons notre opposition éthique pour au moins six raisons : 

1—La dernière loi a été votée récemment, le 2 février 2016. Dans la suite de celle du 22 avril 2005– dont le retentissement fut international — elle poursuit l’effort d’une prise en charge responsable et collégiale de la part des soignants pour garantir une fin de vie apaisée. Son application est encore largement en chantier et demande une formation appropriée. Apprécier au cas par cas comment accompagner au mieux chaque personne en grande vulnérabilité demande temps, discernement et délicatesse. Changer la loi manifesterait un manque de respect non seulement pour le travail législatif déjà accompli, mais aussi pour la patiente et progressive implication des soignants. Leur urgence, c’est qu’on leur laisse du temps.

2— Fort de la fraternité qu’il proclame, comment l’Etat pourrait-il, sans se contredire, faire la promotion — même encadrée — de l’aide au suicide ou de l’euthanasie tout en développant des plans de lutte contre le suicide? Ce serait inscrire au cœur de nos sociétés la transgression de l’impératif civilisateur: « Tu ne tueras point. » Le signal envoyé serait dramatique pour tous et en particulier pour les personnes en grande fragilité, souvent
tiraillées par cette question: «  Ne suis-je pas un poids pour mes proches et pour la société? » Quelles que soient les subtilités juridiques recherchées pour étouffer les problèmes de conscience, le geste fratricide se dresserait dans notre conscience collective comme une question refoulée et sans réponse: « Qu’as-tu fait de ton frère? »

3— Si l’Etat confiait à la médecine la charge d’exécuter ces demandes de suicide ou d’euthanasie, des personnels soignants seraient entrainés malgré eux à penser qu’une vie ne serait plus digne d’être vécue, ce qui serait contraire au Code de déontologie médicale: « Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité. » Selon Paul Ricœur reprenant la tradition hippocratique, la relation de soin est par nature un pacte de confiance qui unit soignés et soignants et qui interdit à ces derniers, au nom de cette dignité, de faire volontairement du mal à autrui et encore moins de le faire mourir. Tuer, même en prétendant invoquer la compassion, n’est en aucun cas un soin. Il est urgent de sauvegarder la vocation de la médecine.

4— Même si une clause de conscience venait protéger les soignants, qu’en serait-il des personnes vulnérables? Dans leur autonomie, elles ont besoin de confiance et d’écoute pour confier leurs désirs, souvent ambivalents. Quelle serait la cohérence de l’engagement médical si, dans certains lieux, des soignants étaient prompts à accéder à leurs désirs de mort chimiquement provoquée, tandis que, dans d’autres, ils les accompagnaient, grâce à l’écoute patiente et au soulagement des différentes souffrances, vers une mort naturelle paisible?

La vulnérabilité de personnes — jeunes et moins jeunes— en situation de dépendance et de fin de vie appelle non un geste de mort mais un accompagnement solidaire. La détresse de celles qui demandent parfois que l’on mette fin à leur vie, si elle n’a pu être prévenue, doit être entendue. Elle oblige à un accompagnement plus attentif, non à un abandon prématuré au silence de la mort. Il en va d’une authentique fraternité qu’il est urgent de renforcer : elle est le lien vital de notre société.

5— Les tenants de l’aide au suicide et de l’euthanasie invoquent le choix souverain du malade, son désir de maîtriser son destin. Ils prétendent que l’exercice de ce droit n’enlève rien à personne. C’est le type même de la liberté personnelle qui ne déborde pas sur la liberté d’autrui. Mais qu’est-ce qu’une liberté qui, au nom d’une illusoire autonomie souveraine, enfermerait la personne vulnérable dans la solitude de sa décision? L’expérience atteste que la liberté est toujours une liberté en relation grâce à laquelle le dialogue se noue afin que le soignant soit bienfaisant. Nos choix personnels, qu’on le veuille ou non, ont une dimension collective. Les blessures du corps individuel sont des blessures du corps social. Si certains font le choix désespéré du suicide, la société a avant tout le devoir de prévenir ce geste traumatisant. Ce choix ne doit pas entrer dans la vie sociale par le biais d’une coopération légale au geste suicidaire.

6— Réclamer sous quelque forme que ce soit une aide médicale à mourir, c’est imaginer comme c’est le cas dans des pays voisins, des institutions spécialisées dans la mort. Mais alors, quelles institutions? Et avec quel financement? Ou bien, c’est conduire notre système de santé à imposer à nos soignants et à nos concitoyens une culpabilité angoissante, chacun pouvant être amené à s’interroger: « Ne devrais-je pas envisager un jour de mettre fin à ma vie? » Cette question sera source d’inévitables tensions pour les patients, leurs proches et les soignants. Elle pèserait gravement sur la relation de soin.

Ne nous trompons donc pas d’urgence!

Face aux troubles et aux doutes de notre société, nous offrons le récit du Bon Samaritain qui prend en charge « l’homme à demi-mort », le conduit dans une auberge hospitalière et exerce la solidarité face à la dépense qu’occasionnent ses soins. A la lumière de ce récit, nous appelons nos concitoyens et nos élus à un sursaut de conscience pour que s’édifie toujours plus en France une société fraternelle où nous prendrons individuel-lement et collectivement soin les uns des autres. Cette fraternité inspira l’ambition de notre système solidaire de santé au sortir de la Seconde guerre mondiale.

Que ferons-nous de cette ambition? La fraternité relève d’une décision et d’une urgence politiques que nous appelons de nos vœux.


N°884Semaine du  28 mars au 4 avril  2018

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