CAHIER D’ESPÉRANCE N° 816 : «Pour une théologie de l’ « oisiveté» dans un monde sans travail…

L’oisiveté n’est pas ici considérée comme le fait de ne rien faire volontairement, mais d’être condamné à ne pas pouvoir  travailler du fait d’un chômage de masse incontrôlable.

Faut-il rappeler que l’origine du mot travail se trouve être défini comme un instrument de torture et que l’on considérait que la femme est « en travail » quand elle est dans les douleurs de l’accouchement ?

Que la punition du “péché originel” est d’avoir transformé le travail agréable de  participation active à l’œuvre divine,  en quelque chose de pénible.

Dieu lui-même n’est pas un “feignant”. Les Trois Personnes auraient pu se contenter de s’entre-admirer dans la parfaite autosatisfaction de la très Sainte Trinité. Mais non,  Dieu s’est lancé dans la  Création, avec cet aboutissement magnifique qu’est l’Homme : dans la mesure où nous avons été créés à son image et à sa ressemblance,  il n’y a rien de plus divin que d’entreprendre, afin de l’imiter parfaitement.

Or, nous vivons dans un monde où le chômage est devenu une réalité. Depuis 50 ans, le débat politique se focalise en grande partie sur la valeur travail et son révélateur,  la contrevaleur chômage.

Officiellement,  nous ne supportons pas l’idée que des millions d’hommes et de femmes soient privés de travail et cependant nous vivons  avec cette réalité qui affecte nos proches ou beaucoup d’autres plus éloignés.  Mais, si cela a tant de répercussions, c’est aussi parce que nous sommes formatés par  la Genèse, “Tu travailleras à la sueur de ton front…”, comme par  le Christ, “auto-entrepreneur en charpente”, ainsi que par saint Paul, réparateur de toiles de tente,  à un rapport très fort au concept, comme à la réalité du travail,  au cœur de  notre identité, à la fois sanction et satisfaction,  valorisation  personnelle et aliénation.

Dans une « société où demeure le chômage », en quoi la valeur travail, qui est souvent considérée comme étant typiquement juive et chrétienne, peut-elle encore être prise en  compte et surtout comment penser le chômage ? Comment l’intégrer  dans une relation « chrétienne  » au monde ?

Notre Seigneur nous a montré l’exemple d’un homme de travail dans la bonne tradition juive,  puis d’un prédicateur acharné, qui n’avait pas une pierre où reposer la tête, nourri par les saintes femmes.

Aucun chômeur parmi ses disciples ! À l’appel du Christ, ils laissent tout derrière eux, tous les fondamentaux de toute existence humaine normale: leur famille, leur travail et plus tard leur pays pour annoncer la Bonne Nouvelle ” aux limites du monde”.

Le Christ appelle aussi les ouvriers de la onzième heure ; en ce sens, la durée du travail perd de sa pertinence au profit de la réalisation d’une œuvre commune et partagée sous le regard du Bon Maitre.

Autrefois, l’absence de travail était surtout ressentie  comme un appel à la charité des nantis pour partager avec les pauvres, et c’est toute la grandeur de l’ Eglise d’avoir su répondre à l’appel des malheureux  depuis des siècles.

Aujourd’hui, la question se pose autrement; des pauvres, il y en aura  toujours, certes, mais le chômage n’est pas que la pauvreté ou une perte de revenus, il touche de très nombreuses familles… Il correspond aussi à une prise en charge et donc à une reconnaissance sociale.   Des  pays envisagent  même de donner un revenu minimum à tout un chacun.

La question est posée : quel est le sens du travail vis-à-vis de l’oisiveté dans une telle société ? Si le travail a perdu de sa signification, l’oisiveté en a-t-elle gagné une pour autant ? N’est-il pas temps de s’interroger  sur le concept de chômage ?

Qui suis-je si je ne travaille pas? Nous savons que bien des personnes au chômage sont loin d’être oisives, tant il est vrai que la recherche d’emploi occupe à plein temps. La sanction annoncée par saint Paul doit-elle s’abattre sur moi ?(2Th 3,10-13)

Il y a là, il me semble, un immense champ de réflexion philosophique et surtout théologique, sur lequel  Notre Dame de Pentecôte, dont c’est  la vocation propre, devrait pouvoir proposer des pistes de réflexion.

                                                                                              Laurent-Michel de Woillemont

Note: Travail : une déformation de “trepalium”, instrument formé de trois pieux, deux verticaux et un placé en transversal auquel on attachait les animaux pour les ferrer ou les soigner ou encore les esclaves pour les punir.


Image0Compte rendu d’une réunion d’équipes et de groupes à NDP en 2016 (suite du Cahier N° 815)

À la suite de l’Assemblée Générale des Equipes qui s’était tenue fin 2015, nous avons changé la forme de nos réunions pour favoriser les échanges et le partage de ce qui se vit dans les différentes équipes. Les participants se sont donc regroupés par tables de 6 personnes, d’ équipes différentes, avec un thème commun  de discussion : « Le travail : ce qui en est partagé dans les équipes » 

C’est maintenant la deuxième table qui s’exprime. Nous parlerons d’intervenants plutôt que de citer les noms ou les prénoms, certaines des réactions étant assez directes et personnelles.

Le 1er Intervenant : L’équipe GCPF (Groupement Chrétien des Professions Financières) est constituée de personnes de divers métiers. Ceci permet de bien regarder les thèmes et les questions concrètes sous différents angles de réflexion (juridique, commercial, administratif, éthique ou autre). L’année dernière, l’équipe aborda la question de la justice, par exemple, dans la question de gestions des « actifs » ; cette année, le thème de la « dette » est abordé. Le groupe découvre que le thème de la « Dette » est une question biblique (cf. le Notre Père par exemple). Quand la banque prête de l’argent, « nos décisions peuvent avoir des conséquences de vie ou de mort sur des entreprises, sur des personnes ». « Réfléchir sur la question de « la finance-casino (spéculation) ou la finance-production de l’économie réelle » pose la question des enjeux. « Nous abordons le rôle social de la banque ». Les questions sont vues  sous leurs différents aspects : par exemple comment assurer la défense des plus faibles face aux plus fortunés, conforter l’image de la société  dans laquelle nous travaillons face aux actionnaires ou résister à des directives venant de la Direction  Générale.

La question de l’argent, en tant qu’idole, apparaît avec les discussions sur les produits toxiques proposés aux opérateurs financiers (LBO).  Bien qu’on ne peut pas dire pour autant que la Banque n’offre pas des produits éthiques. Le bon mélange de métiers favorise l’approfondissement de ces questions. Il est parfois difficile de faire entendre raison contre certaines pratiques au sein de son entreprise d’où l’importance de la voix du pape François. Il est ajouté par un autre intervenant que les syndicats ont aussi un rôle à jouer pour défendre les Salariés dans ces cas-là.

La 2ème Intervenante : nous explique que la diversité de son groupe de Coachs (thérapeutes, coachs, formateurs, accompagnateurs en out-placement, etc.) et les engagements différents
de chacun permettent d’aborder les situations spécifiquement en individuel. Lors des réunions mensuelles, les sujets traités  tournent moins sur un thème que sur les manières d’appréhender les situations des personnes rencontrées.

Sont abordés la pratique des métiers, des méthodes et des problématiques, des  enjeux  humains : « Comment aider à se reconstruire dans les difficultés relationnelles de la  vie en entreprise ou dans le  management de sa carrière, lors d’un passage à vide, ou de  dépression etc ? Comment aider la personne à rester ou à être en cohérence avec ce qu’elle est ? » Elles arrivent « cassées ». Notre but est d’essayer d’aider à se reconstruire et à reconstruire finalement la société. Je suis arrivée à avoir ce métier parce que le MCC (Mouvement des Cadres et dirigeants Chrétiens) m’a fait prendre conscience que « ma part » était de m’orienter dans la formation et l’accompagnement individuel. Cela nous arrive de faire réfléchir des groupes à leur type de travail et de leur faire découvrir  qu’ils ont la responsabilité de l’humanisation de la société, en raison de leurs talents reçus. Notre présence, à Notre Dame de Pentecôte, malgré nos différents lieux de travail hors de La Défense, se justifie car nous y trouvons  un lieu spécifique de réflexion, ouvert à la pastorale du travail.

Le 3ème Intervenant : Le parcours Zachée sur la Doctrine sociale de l’Eglise en milieu professionnel est un parcours exigeant de formation en vue de se transformer  par un partage en  groupe, et des exercices  sur  son comportement vis-à-vis de cette Doctrine sociale. Ce groupe  se retrouve principalement sur le thème du bien commun et sur l’option pour les plus pauvres.
Les participants s’interpellent par un questionnement éthique.

« Ce travail n’est pas un travail de satisfaction personnelle mais il s’agit de voir le lieu de travail comme lieu de sanctification ». « L’année de la Miséricorde nous aide lorsque je suis dans la société ». Nous réfléchissons sur une société d’hommes, concrètement, ayant des responsabilités ou sur les personnes employées. Nous notons comment nous devons répondre aux besoins de l’autre, comment le valoriser et nous voyons les fruits que cela porte. Exemple : A propos des rumeurs et des dénigrements; il y a un effort pour repérer les situations, pour les évaluer afin de favoriser un lieu d’humanisation. Nous travaillons par notre témoignage au respect du bien commun.

Le 4ème Intervenant : demande s’ils sont amenés à se poser « la question des marges de manœuvres  et s’il ne leur appartient pas seulement de donner des objectifs chiffrables pour le management mais de donner aussi des nouveaux critères sur la dimension humaine » : La question d’un contre-pouvoir syndical est en effet envisagée dans l’équipe. Se syndiquer dans les questions managériales peut être un moyen de s’inscrire dans un système de relayeur des demandes humaines. Il ne s’agit pas se défausser sur la pyramide hiérarchique mais de voir ce qui peut être fait à son propre niveau.

Le 5ème Intervenant de l’ACO sera cité dans le prochain Cahier…


 N°816 Semaine du 8 au 15 juin 2016

Vous  pouvez télécharger le Cahier d’Espérance N°816 au format PDF : 2016 – 816

image à la une : «L’oiseau oisif», Camille Louzon Illustration Magnani