CAHIER D’ESPÉRANCE N° 808 : «Le partage en entreprise»

Dans l’Encyclique ‘Laudato Si’, le Pape François recommande de « passer du gaspillage à la capacité de partager ». Dans l’entreprise, on valorise peu le partage et même la fraternité qui est pourtant inscrite dans la devise de la République et qui est aussi le seul devoir figurant dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.

Mais la pratique, dans l‘entreprise, de l’esprit d’équipe et de la solidarité, n’y donne-t-elle pas déjà le goût du partage ?

Comment, alors, développer le partage en entreprise, et que peut-on y partager ? C’est la question que s’est posée l’équipe « Ethique et  Déontologie » de Notre Dame  de Pentecôte et voici ce qu’elle propose, au niveau de l’institution et au niveau personnel :

Institutionnellement, on peut partager le résultat financier de l’entreprise, sa propriété, l’exercice du pouvoir, les objectifs, les difficultés, les valeurs et, personnellement, on peut partager son temps, ses compétences, son expérience, l’information, ses joies et même ses défaillances.

Le partage du résultat financier est déterminant : quelle part attribuer aux actionnaires (s’il y en a…), quelle part attribuer au personnel ? Quel éventail pour les rémunérations ?

Certaines entreprises sont plus ambitieuses et partagent la propriété de l’entreprise : elles abondent l’achat d’actions par le personnel, reconnaissant ainsi sa créance sur la valorisation de celle-ci.

La participation aux décisions est plus répandue : consultation d’un comité de direction par chaque personne en responsabilité, délégation de pouvoir avec accompagnement…

Nous recommandons une réunion hebdomadaire d’équipe  consacrée au partage et à la solution des difficultés rencontrées par chacun.
On partage un même projet, une même vision de l’avenir de l’entreprise.

L‘éthique d’entreprise, dans sa dimension de partage de valeurs cooptées, renforce la connaissance et la confiance mutuelles.

Individuellement, le partage réciproque du savoir, des compétences et des expériences est bénéfique pour chacun.

Plus ambitieux, le partage et l’aveu réciproque des défaillances personnelles requièrent un haut degré de confiance et s’avèrent être le ciment d’une alliance d’équipe indéfectible.

Certes, nombreux sont les obstacles au partage, à commencer par cette conviction très répandue que la détention exclusive du savoir assure un pouvoir.

Le partage de l’information descendante se heurte à l’intérêt personnel de sa rétention, celui de l’information montante au degré de confiance dans la hiérarchie.

Certaines entreprises pratiquent, à l’opposé du partage, la mise en compétition interne, la recherche « de bouc émissaire », les objectifs individuels avec obligation de résultats et peu importent les moyens utilisés…

Mais en dépit des obstacles et de son caractère ambitieux, promouvoir le partage, c’est aussi développer la confiance qui est nécessaire à la fois à la réussite de l’entreprise et à l’épanouissement personnel.

L’équipe Ethique et Déontologie d’Entreprise


3ème Conférence de Carême

renouard

   Justice et entreprise

     par Sœur Cécile RENOUARD,

le 10 mars 2016

Religieuse de l’Assomption, philosophe et théologienne, Cécile Renouard est enseignante à l’ESSEC (Entreprise et Développement des pays émergents) et à l’Ecole des Mines de Paris ainsi qu’au Centre Sèvres (Justice sociale, justice écologique). Elle anime des conventions
de recherche avec des multinationales comme Total (performance sociétale au Nigeria) ou Danone au Mexique mais aussi des associations (CCFD) pour un travail de terrain avec les cadres des entreprises concernées. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, individuellement ou en collaboration, notamment avec Gaël Giraud.

A ses yeux, la question écologique est première et Laudato Si est un texte fondateur. Le terme d’écologie intégrale a le mérite de souligner que les enjeux ne sont pas seulement économiques et sociaux mais qu’ils concernent également notre vie quotidienne dans tous ses aspects, même culturels. La COP 21 a suscité de grands espoirs qu’il convient de modérer. L’objectif affiché était de mettre en œuvre les moyens pour limiter à 2°C l’élévation de la température moyenne de la terre, mais si les gouvernements respectent les engagements qu’ils ont pris, l’élévation de la température est déjà de 3°C ! Le rapport du Bureau international de recherches sur l’énergie, Enerdata, envisage même 5°C. Dans les rapports ou les déclarations des gouvernements sur le sujet, la notion de sobriété n’est jamais présente, or elle conditionne à la fois l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. La question environnementale ne peut être déconnectée de la question sociale.

Le Pape François nous appelle à donner la priorité aux finalités plutôt qu’aux moyens, « trop de moyens (…) pour des fins rachitiques et limitées », à lutter contre le déficit éthique et managérial. Il nous convoque à être créatifs pour faire fleurir la noblesse de l’être humain. Il s’agit d’avoir un rapport juste à la Création et d’abord de reconnaître l’altérité pour ne pas imposer à l’autre ses propres critères, d’agir en jardinier plutôt qu’en maître. On pense au chapitre 11 du Livre de la Sagesse, qui invite à la justice dans la miséricorde et à la modération..

Dieu lui-même s’efface au moment où Il crée l’altérité. Il faut aussi utiliser le discernement pour chercher le pourquoi des choses, orienter et contrôler notre pouvoir, tout en étant conscient de l’immense amour de Dieu pour ses créatures. Nous devons être l’instrument de Dieu pour faire apparaître les potentialités qu’Il a mises lui-même en nous. C’est le « dégagement joyeux » selon le mot de Marie-Eugénie, fondatrice de l’ordre des religieuses de l’Assomption.

Cette attitude impose la pratique de justes conditions de création et de partage des richesses, une gouvernance qui se préoccupe de la façon dont les personnes sont prises en compte, une justice distributive. L’analyse de la chaîne de valeurs est parfois édifiante : pour une chemise vendue en Europe 29 €, 18 centimes seulement reviennent à la couturière qui l’a fabriquée au Bangladesh. Le Pape François insiste sur le poids de la dette écologique et de la dette sociale que nos sociétés développées font peser sur les plus pauvres. Il nous faut accepter de décroître pour mettre une part de nos richesses à la disposition des moins favorisés.

Il y a loin des intentions à l’action mais il faut, en tous cas, se méfier des discours qui ne laissent pas place aux tensions qui traversent la vie économique. On doit se garder d’engendrer des externalités trop dangereuses et il s’agit de reconsidérer le profit comme un moyen
nécessaire de financement du projet de l’entreprise compatible avec le bien commun. La confrontation du coût avec les bénéfices escomptés n’est pas suffisante, il faut prendre en compte toutes les dimensions, le respect de l’intégrité physique, la force du lien social. Au Nigeria où l’Etat  est supplanté par les sociétés pétrolières, on constate une dégradation du lien social. Un indicateur concernant les populations qui gravitent autour des sites de production a été mis au point pour le mesurer. Il prend en compte le niveau de connexion des personnes, les liens privés interpersonnels, l’engagement civique. Cet instrument est, bien sûr, fruste et réducteur parce que quantitatif mais il vient en appui d’études qualitatives et il est en cours d’adaptation pour être utilisé à l’intérieur des entreprises.

Des solutions se mettent en place, par exemple l’économie circulaire, avec le recyclage de minerais dont l’extraction consomme beaucoup d’énergie; l’économie de fonctionnalité – plutôt louer des services qu’acheter des biens représenterait chaque année en Europe une économie de 380 MMUSD, l’économie de circuit court et enfin l’économie collaborative, avec des risques toutefois de précarisation. Il faut, là encore, examiner toute la chaîne : lorsque l’entreprise Danone veut mettre au point un recyclage des plastiques dans un pays émergent, elle découvre qu’elle a une responsabilité partagée avec d’autres acteurs, l’Etat en premier lieu, vis-à-vis des chiffonniers qui vivent de la collecte des déchets. Les exigences de la démocratie devraient primer sur celles du marché. La société civile a un devoir de vigilance. Une régulation se met progressivement en place mais de façon très minimaliste. A terme cependant, le salarié qui constate un décalage entre sa mission et les moyens mis en œuvre pourrait avoir des possibilités d’intervention.

L’Evangile est une Bonne Nouvelle pour la société, l’Eglise a un rôle positif à jouer quelles que soient les critiques. Soyons des acteurs économiques prêts à entrer dans l’expérience de la sobriété heureuse.

Notes de Michèle Rain


N°808 Semaine du 13 au 20 avril 2016

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