CAHIER D’ESPÉRANCE N°882: 5ème Conférences de Carême 2018 : «Quelle vie spirituelle à La Défense, Tour de Babel?»

Comment retrouver le sens de la vie au cœur de La Défense, dans cet environnement urbain et ce monde professionnel qui, très souvent, taisent l’essentiel et nous désorientent ? Pour répondre à cette question, nous pouvons oser un parallèle entre les tours de La Défense et la Tour de Babel. Méditer cet épisode de la Genèse (11,1-9) nous permet, en effet, de nous interroger en miroir sur notre quotidien. Il nous pose quatre questions : comment faire de cette Tour de Babel une demeure où vivre en-Dieu ? Comment y partager une parole commune ? Comment s’y assembler en vrais vivants ? Comment y frayer des chemins personnels d’épanouissement spirituel ?

Très souvent, en effet, nous vivons dans l’illusion de ne pas être en-Dieu.Notre Occident a faussé quelque peu notre relation à Dieu, en faisant un simple objet de croyance. Pour de nombreuses personnes, Dieu n’existe que pour ceux qui croient en Lui ! Or il ne s’agit pas de « croire en Dieu », mais bien de vivre en-Lui et surtout de le laisser vivre en nous et en toutes les personnes que nous rencontrons. Vivre en-Dieu, c’est savoir se relier à Lui et s’accorder à sa puissance de vie, de sagesse et d’amour. Et cela nous est donné en tout lieu et en tout temps.

Très souvent, en effet, nous ne nous parlons plus dans nos échanges professionnels, ou plutôt, nous y sommes dépossédés d’une vraie parole
personnelle. Nous ne sommes plus « parlants », mais « parlés » par tous les langages techniques propres à nos métiers. Or il s’agit bien, pour nous tous, de répondre à la question du Christ : «Et pour toi, qui suis-je ? » Non seulement y répondre, mais aussi entendre la réponse de chacun. Et cela nous demande de créer des espaces et des temps de parole, et plus encore d’ouvrir nos oreilles pour écouter.

Très souvent, en effet, nous sommes perdus dans la foule, et nous nous raccrochons à des identités et à des appartenances pour fuir un sentiment de solitude. Nous imbriquons les membres de notre équipe, sans réussir à créer de vraie cohésion. Or, pour donner du sens à notre vie en communauté, pour communier, nous avons à nous assembler autour d’un foyer commun, nous avons à « faire assemblée ». Et cela nous est donné, dès qu’un feu vivant remplace le mortier.

Très souvent, enfin, nous ne trouvons plus notre place. Nous nous dispersons dans un  parcours professionnel qui perd son sens, car il ne répond plus à une vocation profonde. Or, comme Abraham, nous sommes appelés à aller vers nous,à entendre et à suivre notre vocation, et à voir béni ce chemin de vie qui s’ouvre à nous. Et cela nous est offert à tous, qui que nous soyons, par le Christ qui pose sur nous un regard personnalisant.

Charlotte Jousseaume

Écrivain, animatrice d’ateliers et fondatrice de Plume de linotte 


1° Conférence de Carême  à Notre-Dame de Pentecôte

15 février 2018 

LA SPIRITUALITE, UNE DIMENSION CONSTITUTIVE DE L’ETRE HUMAIN ?
Par Brigitte Cholvy

(Docteur en Théologie et Directrice du 3ème Cycle de la faculté de théologie de l’Institut Catholique de Paris)

COMMENT CARACTERISER LE CONTEXTE ACTUEL ?

Nous vivons à l’époque post-moderne qui se situe après la tradition où dominaient les notions de stabilité et d’héritage, puis la période moderne, pendant laquelle l’esprit critique a tout remis en question. Dans la post-modernité, la victoire du principe critique moderne est totale, c’est-à-dire que rien ne fait plus autorité. Les différences reconnues jusque-là entre humain/animal, humain/machine, homme/femme …ne s’imposent plus. Dès lors, la tentation est grande de renoncer à désigner la spécificité de l’humain.

Sur le seul exemple du rapport humain/animal, on pense aujourd’hui l’animal ayant une liberté,des émotions, éprouvant plaisir et souffrance, il devient un interlocuteur. Tous les êtres vivants semblent s’inscrire dans une même continuité. Il y a entre humains et animaux peu de différences
biologiques, d’ADN, de posture ou encore de comportements sociaux. D’où les titres de ces livres récents :

  • La violence de l’humanisme de Patrice Rouget (2014)
  • Animal mon prochain de Florence Burgat (1997)
  • La fin de l’exception humaine de Jean-Marie Schaeffer (2007)

LA SPIRITUALITE, DIMENSION CONSTITUTIVE DE L’ETRE HUMAIN

Dans ce contexte, il nous semble que c’est dans la spiritualité, et tout particulièrement la spiritualité chrétienne, que quelque chose de spécifiquement humain peut se discerner.

Dans toute spiritualité, apparaît la recherche d’un lien entre l’humain et le divin : l’humain émane du divin et son destin semble être de retourner au divin pour s’y fondre.

La spiritualité chrétienne propose trois affirmations qui déplacent cette idée générale :

  • L’humain n’est pas sous-produit de Dieu, émanation, voire dégradation, mais création de Dieu. (Genèse)
  • L’homme est destiné à l’union et à la communion, mais ni à la fusion, ni à la confusion.(2ème lettre de Pierre)
  • Par son Incarnation, Dieu habite l’humanité et « vient dans la chair » (Prologue de l’Evangile de Jean)

L’adjectif « chrétienne » appliqué à « Spiritualité » signifie que l’ouverture à la transcendance se fait à partir (création) du Christ, en direction (destinée) du Christ et à travers le Christ (Incarnation).
Dans la spiritualité chrétienne, il faut toujours avoir la double capacité de se décentrer radicalement et d’en référer constamment au Christ.

En outre, la communion de la créature à son Créateur suppose chez l’homme des capacités d’accueil et d’écoute.

ESPRIT, AME

Le mot « esprit »n’est pas sans ambiguïté puisqu’il n’a pas le même sens avec et sans majuscule. Dire le lien entre esprit et Esprit est une tâche de réflexion théologique. Il ne faut ni confondre,ni séparer totalement.

La seconde difficulté est la manière dont le mot esprit se trouve très tôt associé à intelligence.
La modernité avec le cartésianisme les fait même coïncider et quand l’esprit est réduit à l’intelligence, il n’y a plus de lien avec la transcendance. C’est pourquoi les mystiques (aux XVIe et XVIIe siècles) vont abandonner la notion desprit et parler d’âme. Notre époque témoigne d’ailleurs d’un regain d’intérêt pour l’âme :

  • Prenez soin de votre âme, petit traité d’écologie intérieure de Jean-Guilhem Xerri (février 2018)
  • Avons-nous encore une âme ? de Xavier Lacroix (2016)
  • De l’âme de François Cheng (2016)

Les mystiques ont recours à des expressions incluant le mot âme pour dire quelque chose de l’expérience mystique : fond de l’âme, fleur de l’âme, et même esprit de l’âme…

Etymologiquement, âme vient du latin anima qu’on peut simplement traduire par vie :

« Qui veut sauver sa vie, la perdra » Evangile de Saint Marc 8, 35 sq

Chez les Grecs, on trouvera plusieurs conceptions de l’âme: pour Platon, le corps est la prison de l’âme, pour Aristote, corps et âme sont indissociables.

Enfin, on peut noter que le Nouveau Testament n’assimile pas âme et esprit (Epitre aux Hébreux).

Nous sommes héritiers à la fois des visions grecque, latine et biblique, avec leurs contradictions.
Par conséquent, écrire aujourd’hui sur l’âme, c’est se situer dans toute cette diversité et d’un point de vue chrétien, il paraît prudent de ne pas  perdre l’articulation entre âme et esprit.

LE MOT « CŒUR » DIT QUELQUE CHOSE DE PLUS

Ce mot est ancien : c’est le Leb hébreu ; le Kardia grec ; il ne désignera ici ni l’organe, ni les sentiments. Voici ce que l’on peut lire dans La Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, Gaudium et spes, du Concile Vatican II :

« Et cela ne vaut pas seulement pour tous les hommes qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet puisque le Christ est mort pour tous (cf. Rom 8,32) et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. » (GS n° 22.5)

Le cœur est ici le lieu où l’Esprit du Christ agit. (GS n° 78) « L’esprit de charité dans le cœur de l’homme. »

Il est le lieu de la rencontre ou du possible refus de Dieu (GS n° 19) « Le cœur de l’homme est sans repos, tant qu’il ne repose en Dieu » écrivait Saint Augustin au tout début des Confessions.

Il peut être le lieu de conversion : c’est cela le « changement de cœur » (GS n° 82), le passage du cœur de pierre au cœur de chair que prophétisait déjà Ezéchiel.

Il est encore le lieu des désirs de l’homme, c’est le sens du mot cœur dans les Béatitudes.

« L’association au mystère pascal » qui concerne les « hommes de bonne volonté », selon la citation ci-dessus, est ancrage dans le Christ mort et ressuscité , est « vie nouvelle », ce qui se manifeste au travers :

  • de la recherche de la vérité et de l’amour,
  • d’un autre rapport à l’ennemi, éclairé par le pardon,
  • d’un autre rapport à soi et à sa propre vie (désintéressement),
  • de la constitution d’une fraternité renouvelée.

Tout cela dessine un nouveau mode de vie: il s’agit bien de vivre selon la loi nouvelle de l’Evangile pour être configuré au Christ. L’écoute de nos désirs les plus profonds ne conduit pas au repliement sur soi, mais est chemin d’ouverture.

A suivre…..


N°882 Semaine du  14 au 21 mars  2018

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