CAHIER D’ESPÉRANCE N°853: «Des exercices de conscience…»

Les chercheurs sont toujours perplexes. Comment un jeune universitaire, travaillant dans un bureau de propriété industrielle suisse, a pu tout d’un coup révolutionner la physique et notre compréhension du monde * ? Cette irruption du génie reste inexplicable pour beaucoup. Pourtant, plusieurs fois, ce physicien nous parle « d’expériences de conscience ». S’imaginer à la vitesse de la lumière (300 000 km/s) en changeant de référentiel (repère) …n’est pas à la portée de tout le monde. Mais les philosophes s’en rapprochent lorsqu’ils parlent « d’expériences de pensée ».

Et si, à notre tour, dans cette recherche de compréhension du monde, nous avions, à notre portée la puissance des « exercices de conscience » ? Recherche trop individualiste ? Non, mais une conscience exercée, approfondie, pour mieux comprendre l’autre et pourquoi pas la présence du divin ?

Comprendre l’autre par un exercice de conscience : c’est à dire être actif dans sa découverte. Imaginer son environnement, ranimer notre mémoire sur ce qu’il nous a déjà dit de lui. Faire silence pour qu’il exprime le caché et non pas l’habituel. Sans montrer notre curiosité ou notre intelligence par trop de questions. Mais l’accueillir, le laisser libre, sans le désorienter par un jugement, de l’humour ou une diversion. Nous exercer à cela. Entendre son point de vue, sa manière d’être, c’est exigeant. Mais cet exercice de conscience nous le rendra proche et sensible au cœur.

Comprendre la présence du divin. Quête très ancienne avec souvent des irruptions dérangeantes : le monde juif et le monde des premiers chrétiens,le monde protestant, le monde bouddhique et le monde musulman…Nous pressentons leur paix mais souvent aussi leur violence. Et que dire de l’assaut de la modernité…! Nous sommes liés, façonnés par une culture ; nous avons reçu plus que nous n’avons trouvé. Nous sommes-nous exercés à des moments de silence intérieur, à des moments de liberté où, dans une journée, nous nous  rendons disponibles ? La connaissance, la rencontre de Dieu est en puissance, comme le bourgeon lentement croît, comme ce qui, petit à petit, prend sens dans notre vie …

Mais il y a des non-consciences : des blocages, des indifférences, des diversions involontaires ou volontaires (le « zapping »), le tourisme en idées ou en lecture, le manque d’écrits de notre part qui aident à la réflexion, l’environnement monocolore, la soumission aux médias, ou tout simplement la fatigue,la souffrance, l’âge qui vient ou le refus du nouveau et de cet arrêt salutaire.En prendre conscience demande du temps.

Comment ne pas penser aussi à deux modes de connaissance plus spirituels ?

Lorsque nous parcourons la vie des Saints ou de personnalités reconnues pour leur vie donnée, il y a toujours la rencontre des pauvres ou des exclus. « Nous avons eu cette conviction que pour suivre Jésus et entendre les désirs les plus profonds de Dieu, il nous fallait rejoindre les pauvres* *». Cette prise de conscience lente devant l’extrême solitude – pas de famille – pas de ressources – pas d’avenir – est une autre façon de découvrir le monde en profondeur, de gagner en lucidité sur les rapports de force existants.

Cela demande un engagement personnel, de la simplicité, une écoute et beaucoup de silence.
Et aussi une prise de risque. Vais-je laisser l’autre m’atteindre, me provoquer ? Ou vais-je me réfugier dans le bon sens : « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde … ! » Le Christ n’a pas hésité, il est allé vers  des « non-établis », des « rejetés » mais aussi des malades et des souffrants et leur a redonné l’espérance. Cette proximité donne une autre forme de connaissance souvent par la souffrance éprouvée.

Lorsque St Ignace, dans les Exercices spirituels, nous recommande d’imaginer les scènes d’’Evangile, de nous mettre à la place des personnes concernées, de « composer le lieu »de penser aux dialogues possibles entre les personnages, de laisser chaque scène d’Evangile nous pénétrer dans ce qu’elle a de vivant, d’humain, de présence divine, il nous guide vers une connaissance spirituelle. Pensez au Samaritain ou à la femme adultère.  « On parle beaucoup de cette femme et des anciens qui s’en vont. Mais qu’éprouve le Christ ? Dans quelques mois, il sera à la place de cette femme : honni, injurié, condamné sans regard de miséricorde. Y avez-vous pensé ? »*** . Revenir sur les scènes d’Evangile en laissant chacune vivre au profond de soi …une connaissance mystérieuse liée à la foi en la parole divine.«Ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l’âme, mais c’est de sentir et de goûter les choses intérieurement ».                                                              Exercices spirituels de St Ignace- ES 2 

Vous me direz : suis-je capable de m’arrêter sur le parvis de la Défense, une minute entière, pour penser aux 160 000 personnes qui travaillent autour de moi ? Cet effort de  conscience, cette compréhension de l’autre, cette perception du monde, cette intelligence aimante du divin : est-ce à ma portée. Mais souvenez-vous : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Mt 11,25).  C’est ce que la petite Thérèse avait découvert et compris. A notre tour, pourquoi pas nous ?

Christian Vignalou

*      Albert Einstein (Ulm 1879 – Princeton 1955) . Prix Nobel en 1921              

**    Permanente engagée depuis 35 ans à ATD Quart Monde

***  Comme le remarquait un groupe de parole cité par Message – Revue du Secours Catholique


Image1 5ème Conférence de Carême

le jeudi 30 mars 2017

              par le Père Xavier CHAVANE, Curé des Mureaux*.

 LA CONFIANCE DANS LES RELATIONS INTERRELIGIEUSES ?

(1ère Partie)

PARTIR DE L’EVANGILE

« Voyant que ses disciples peinaient à ramer, car le vent leur était contraire, Jésus vient à eux vers la fin de la nuit en marchant sur la mer et il voulait les dépasser. En le voyant marcher sur la mer,les disciples pensèrent que c’était un fantôme et ils se mirent à pousser des cris. Tous, en effet, l’avaient vu et ils étaient bouleversés. Mais aussitôt Jésus parla avec eux et leur dit : « Confiance ! C’est moi ; n’ayez pas peur ! »  Il monta ensuite avec eux dans la barque et le vent tomba. » (Matthieu 14, 22-33)

Dans les relations interreligieuses, l’Eglise entend l’appel de Jésus, qui demande de bâtir des relations fraternelles avec les autres communautés religieuses (comme Jésus lui-même l’a fait avec les Samaritains). Mais aujourd’hui en œuvrant pour le dialogue et l’annonce avec ceux qui ne partagent pas leur foi en Jésus-Christ, les chrétiens ont l’impression de ramer et d’être soumis à des vents contraires…

UN CONTEXTE DE DEFIANCE

Pour décrire le contexte actuel, citons des extraits d’un sondage de 2013  par IPSOS-CGI Business consulting (pour Le Monde, CEVIPOF, Institut Jean Jaurès), La France : les nouvelles fractures :

Le niveau de tolérance de différentes religions :
72 % considère la religion catholique plus ou moins tolérante
66 % considère la religion juive plus ou moins tolérante
74 % considère la religion musulmane plus ou moins intolérante

La compatibilité de différentes religions avec les valeurs de la société française :
89 % considère la religion catholique plus ou moins compatible
75 % considère la religion juive plus ou moins compatible
74 % considère la religion musulmane plus ou moins incompatible

* Commune des Yvelines dans laquelle 20.000 des 30.000 habitants sont musulmans) .

  Le Père Xavier Chavane est aussi co-auteur du livre   « Je ne rougis pas de l’Evangile » Edition Mame

L’attitude des différentes religions pratiquées en France :
74 % considère que la religion catholique ne cherche pas à imposer son mode de fonctionnement aux autres
79 % considère que la religion juive ne cherche pas à imposer son mode de fonctionnement aux autres
80 % considère que la religion musulmane cherche à imposer son mode de fonctionnement aux autres

La préoccupation à l’égard de l’intégrisme religieux en France :
77 % considèrent que c’est un problème de plus en plus préoccupant dont il faut s’occuper sérieusement.

La présence des musulmans en France s’est imposée progressivement. Avec la décolonisation, les Musulmans ont été de plus en plus nombreux en France. Aujourd’hui, ils représentent 8 à 10% de la population nationale.

Mais la greffe ne prend pas : l’Islam et la société française n’ont pas trouvé le modus vivendi permettant d’établir des relations apaisées.

Dans ce contexte, non seulement les disciples de Jésus que nous sommes, se posent des questions, mais il y a même, au sein de l’Eglise, une contestation forte. Certains considèrent en effet que la manière dont le Pape, les Evêques et tous ceux qui veulent être fidèles au Magistère regardent l’islam, relève plutôt du syncrétisme ou de l’irénisme. C’est-à-dire qu’ils leur reprochent de souligner ce qui est commun, en cachant la vérité qu’est Jésus-Christ. Il faut savoir entendre cette critique. 

A PROPOS DE LA VERITE : QUESTIONS CROISEES

Les musulmans posent aux chrétiens plusieurs questions à propos de leur foi : Ce sont essentiellement des questions dogmatiques  pour défendre l’unicité de Dieu et Sa Transcendance.

Ils veulent savoir si nous croyons en un seul Dieu ou en trois…Les jeunes, à qui la question est posée, se trouvent déstabilisés : ils ne sont pas habitués à témoigner du mystère de la Trinité.

Autre interrogation : comment Dieu peut-il être un homme ?

L’embarras provoqué par ces questions explique en partie pourquoi, dans les cités, des jeunes se convertissent à l’Islam.

De notre côté nous pouvons nous demander comment Dieu a-t-il permis que cette religion perdure au-delà d’une hérésie. Et cette religion qui conteste, au nom de sa foi au Dieu unique, le cœur de la religion chrétienne, pourquoi se développe-t-elle. ?

Dans le même temps, nous sommes conduits à reconnaître chez nombre de musulmans des valeurs que nous partageons : les valeurs familiales, une éthique basée sur la défense de la Vie que l’on reçoit et dont nous ne sommes pas les maîtres, ainsi que le souci du plus pauvre. 

APPROCHE THEOLOGIQUE DU PROBLEME 

Dès les années 60, des théologiens se sont exprimés sur ce sujet en adoptant des positions diverses :

Le point de vue des théologiens-cardinaux :

– Cardinal Tisserand (doyen des cardinaux au Concile) : « Une hérésie condamnée au IVe siècle par l’Eglise : L’Arianisme »

– Cardinal Journet : « Révélation surnaturelle du Dieu Unique et transcendant, faite à Abraham…    mais bloquée, stoppée, figée lors du faux pas d’Israël »

Il existe aussi deux autres positions extrêmes :

-Ceux qui, avec Mgr Lefebvre, contestent Vatican II et considèrent que l’Islam est inspiré par Satan. Il faut combattre cette attaque de la foi chrétienne par tous les moyens. Au mieux, chercher à les convertir et ainsi les sauver, au pire les éloigner le plus possible de nos enfants en les présentant comme nos ennemis.

– Enfin l’école de Louis Massignon qui, après avoir été athée ou agnostique, a redécouvert sa foi chrétienne au contact des musulmans. Il a ensuite beaucoup étudié la mystique musulmane afin de favoriser le dialogue entre chrétiens et musulmans. Il  pense que l’Islam est inspiré par l’Esprit-Saint, afin de corriger certaines déviations des chrétiens par rapport à la vérité révélée en Jésus-Christ.

L’Islam serait alors, pour les chrétiens, une école d’humilité dans leur affirmation de la Vérité,  mise sur leur chemin par le Seigneur pour les aider à redécouvrir la simplicité de Dieu et le sens de la charité.

Les Pères du Concile ont refusé ces deux dernières analyses.

A suivre… Notes de Anne Plauchu


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N°853 Semaine du 24 mai au 7 juin 2017

Vous pouvez télécharger le Cahier d’Espérance N°853 au format PDF : 2017 – 853